Les cadeaux

Les astronautes retournèrent dans le satellite extraterrestre.

_ Et maintenant nous allons vous faire des cadeaux, affirmèrent les extraterrestres.

Ils s’exprimaient désormais en anglais.

Un robot humanoïde aux longs bras sortit de l’obscurité et alla fouiller dans un tiroir. Il en ressortit trois cordelettes refermées sur elles-mêmes, et les passa autour du cou des astronautes américain, chinois et russe.

_ Ces colliers sont en nanotubes de carbone. À votre retour vous pourrez les étudier convenablement.

Puis il donna deux objets étranges aux astronautes saoudien et béninois.

_ C’est une autre structure du carbone. Vous ne la connaissez pas.

Les astronautes restaient un peu interdits avec leurs cadeaux.

_ Qu’est-ce que c’est ? Demanda l’astronaute saoudien.

_ Attendez, je cherche la traduction dans le dictionnaire. C’est un boulon.

_ Un boulon ?

_ Une sorte de boulon. C’est la traduction la plus exacte. Mais vous savez, ce n’est pas à quoi ça sert qui est important, c’est la matière. Permettez-moi de vous féliciter d’être venus jusqu’à nous, c’est très courageux de votre part : nous-même n’avons pas osé venir directement à votre rencontre. Vous avez bien mérité vos cadeaux, qui vous seront très utiles une fois retournés sur Terre.

L’astronaute américain se manifesta :

_ Nous aussi nous avons des cadeaux !

Et il sortit cinq disques Blu-ray d’une petite valise spécialement amenée à cet effet.

_ Voici un extrait de la culture terrestre, avec notamment les Beatles…

_ Mais puisque nous vous avons dit que nous avons déjà téléch…

_ Chlatidza ! (Silence !) Merci beaucoup. Puis-je me permettre de vous demander l’autorisation de diffuser cette musique à l’intérieur du vaisseau mère ? Une fois ?

_ Oui…

_ Nous vous exprimons notre plus profonde gratitude et notre plus grand respect. Kolep ! (Abruti !)

Le robot photographia les cinq Blu-ray, puis les logea dans le même tiroir que les cadeaux destinés à l’humanité. Il était évident que les extraterrestres étaient un peu déçus.

_ Maintenant, retournez sur Terre avec vos cadeaux. Nous réfléchirons aux termes de l’échange.

Et les cinq capsules de fret furent envoyées sur une orbite de garage, car les extraterrestres s’occuperaient eux-mêmes de la livraison.

Les cadeaux des extraterrestres furent soumis à une batterie de tests dans chaque pays privilégié. La Chine fit porter plusieurs dizaines de millier de tonnes à son collier en nanotubes : la cordelette pénétrait profondément dans la chair d’acier des crochets destinés à supporter la charge. Les Américains furent heureux de découper leur collier avec un puissant laser. Quant aux Russes, ils entourèrent leur collier d’un si puissant secret qu’on se demanda même s’ils avaient réellement reçu quelque chose.

Après de multiples recherches, les scientifiques saoudiens furent invités au palais royal pour communiquer leur rapport :

_ En effet, il s’agit bien d’un boulon. Un boulon très solide.

En Afrique, les scientifiques béninois écrivirent au contraire un article controversé, dénonçant une véritable escroquerie :

_ C’est un morceau de charbon. Pas du charbon terrestre, pas une variété que nous connaissons. Mais du charbon quand même. Si c’est ça le matériau miracle, nous en avons encore beaucoup sur Terre.

Des échantillons furent envoyés à divers laboratoires qui confirmèrent. La presse s’indignait :

_ Une autre structure du carbone ! Eh bien merci !

On se demanda si les extraterrestres n’étaient pas racistes.

Après avoir dénié avoir offert un vulgaire bout de charbon aux Béninois, les extraterrestres se justifièrent :

_ Et même si c’était véritablement du charbon, vous devriez être contents de recevoir la sédimentation des végétaux et des dinosaures d’une planète extraterrestre.

Enfin, ils admirent qu’il y avait parfois des ratés dans la « machine à cadeaux » du vaisseau mère, ou dans le tri des objets destinés aux « échanges culturels ». Pour s’excuser, ils promirent que le Bénin deviendrait le premier partenaire commercial des extraterrestres, et les Saoudiens, avec leur boulon, le deuxième ; qu’ils aimaient beaucoup la peau noire des Africains, que d’ailleurs c’était leur préférée – ce qui ajouta encore au scandale au lieu de l’atténuer.

_ Bon, vous ne voulez pas de charbon ? Alors on va vous envoyer autre chose.

Et les livraisons commencèrent.