La prospérité

L’Afrique se relevait doucement de sa guerre, l’industrie y était florissante, la population croissait. Le Bénin commençait sérieusement à maîtriser la « technologie de recyclage » des extraterrestres, et en faisait bénéficier toute l’humanité.

Mais de l’autre côté de l’Atlantique et de l’autre côté de la Méditerranée, les choses n’allaient pas si bien. L’industrie de ces pays devenait obsolète, et le prix des matières premières avaient quadruplés. Presque toutes les matières premières étaient achetées par l’Afrique maintenant, qui les payaient au prix fort, et qui revendaient des marchandises d’ultra-haute technologie à un prix encore plus élevé.

La Russie et la Chine n’allaient pas trop mal, car elles ne s’étaient pas impliquées dans la guerre, et de façon générale, ne s’étaient pas disputées avec les extraterrestres.

Les États-unis avaient perdu leur influence sur le Moyen-Orient qui désormais était en paix. En outre, on ne s’intéressait plus ni à leurs marchandises, ni même à leurs matières premières. Le pétrole et le gaz n’étaient plus aussi importants aujourd’hui. À cause du développement de la fusion nucléaire, on s’intéressait d’avantage au borax, et lorsque la Syrie envahit la Turquie afin de s’emparer de ses réserves pour le compte du Bénin, personne n’y trouva rien à redire.

Les Européens traversaient la Méditerranée par légions pour aller travailler en Afrique, qui avait besoin de main d’œuvre après la famine et les purges. Ils étaient cependant refoulés aux frontières du Bénin, où les salaires étaient les plus élevés. Ils s’accumulaient à la périphérie du Golf dans des bidon-villes pollués où ils étaient employés par des consortiums extraterrestres ou Béninois. Ceux qui ne trouvaient pas de travail étaient enfermés dans des camps en attendant leur déportation vers leurs pays d’origine, où la misère les attendait.

Progressivement, les États-Unis furent mis à l’écart du commerce international. Son économie, déconnectée des sources de matières premières et des débouchés, ne profitait pas de la vaste division du travail qui se mettait en place. L’Amérique posa un premier genou à terre lorsqu’elle demanda aux extraterrestres de lui livrer des machines, mais ceux-ci lui répondirent qu’ils avaient déjà externalisé toute leur production en Afrique, et donc qu’il fallait s’adresser au Bénin.

Le Bénin était devenu le centre de l’économie mondiale. Il importait des masses de matières premières et produits semi-finis qu’il transformait et redistribuait en en tirant de juteux profits. Plus que tout, il exportait du capital, c’est-à-dire des usines là où étaient les ressources naturelles et humaines. Il drainait systématiquement toute la richesse et la faisait circuler, asphyxiant les pays qui ne se soumettaient pas.

Les extraterrestres distillaient avec parcimonie leur technologie, prenant garde de recevoir des contreparties généreuses en terre, en capital et en main d’œuvre. Ils demandaient 20, 30, 40 % dans les pays avancés et 80, 90 ou même 100 % dans les pays en développement. Lorsqu’un accord ne pouvait être trouvé, ils utilisaient le Bénin comme gendarme.

Les extraterrestres faisaient exprès de tenir sous leur protection des nations pauvres ou rivales, qu’ils corrompaient avec de l’or, des armes et des promesses et qu’ils trahissaient à la moindre incartade.

Toujours, leur implantation provoquait des catastrophes : l’industrie locale était rasée, la terre était ravagée pour trouver des matières premières et les hommes enfermés dans des usines ou embrigadés dans l’armée pour des guerres sans fin et sans issue.

Les États-Unis furent l’un des derniers à résister. Mais les États-Unis étaient un territoire d’un intérêt limité pour le Bénin ou l’Arabie Saoudite, aussi se contentèrent-ils d’entraîner l’un après l’autre dans leur orbite tous ses alliés, et de laisser pourrir. Coupée de ses ressources et manquant d’énergie, l’Amérique lança un dernier emprunt international, qui n’était rien d’autre qu’un appel à l’aide. Personne n’y prêta attention.

L’industrie américaine s’effondra complètement. Alors seulement les capitaux saoudiens, béninois et extraterrestres pénétrèrent profondément dans la chair de l’Amérique, détruisant tous ses organes. Les États-Unis étaient devenus une petite nation périphérique, exploitée à titre marginal pour ses réserves de borax.

Les extraterrestres possédaient la moitié du capital, un dixième des terres et employaient un quart de la population humaine. 90 % des flux financiers passaient par eux, et les diverses propriétés étaient enregistrées dans leurs banques. La plupart des nations étaient soit ses alliés, soit ses vassaux. On les savait très durs en affaire et pour cela, on les respectait.

Tout était redevenu comme avant. Les impérialistes régnaient sur la terre, à ceci près qu’ils avaient la peau verte.

FIN