La paix

Il y eut en Afrique une famine qui fit 100 millions de morts.

Beaucoup de paysans avaient été déplacés pendant la guerre, mais lorsqu’ils revinrent sur leurs terres, ils s’aperçurent qu’elles étaient dorénavant la propriété d’extraterrestres ou de Béninois. Il leur était simplement expliqué qu’ils devaient partir, ou qu’on les tuerait. Lorsque les gens ne comprenaient pas, des bandes armées mettaient à exécution ces menaces.

Un nombre incalculable de réfugiés erraient dans les forêts et la savane, se nourrissant de ce qu’ils trouvaient, et lorsqu’ils essayaient de rejoindre les villes, l’armée les repoussait.

Le Bénin réorganisait l’Afrique en prévision de l’arrivée des extraterrestres : des millions de paysans étaient expulsés pour que les extraterrestres puissent librement entreposer leurs ordures. Il fallait aussi faire place nette pour vendre les terres, car les extraterrestres voulaient des terres vierges, sans humains. C’était précisément ces paysans expropriés qui mourraient de faim actuellement.

Mais les extraterrestres ne débarquaient pas. Plutôt, ils avaient recruté des mandataires parmi l’aristocratie béninoise, assortie de solides contrats et de jolies rémunérations. Ils embauchaient également des ingénieurs et des ouvriers, qu’ils formaient en interne.

Des sacs de détritus tombaient sans discontinuer sur l’Afrique, rendant les terres impropres à l’agriculture. Des usines à capitaux mixtes – humains et extraterrestres – se construisaient à proximité des anciens champs, devenus gisements, pour recycler les déchets.

Puisqu’on découvrait occasionnellement des charniers jusqu’au bord des routes, des plaintes remontèrent jusqu’au gouvernement. Des spécialistes des droits de l’Homme demandaient : la propriété privée n’est-elle pas sacrée dans une société comme la nôtre ? Tout cela est-il bien constitutionnel ? Enfin, les paysans africains n’ont-ils pas droit à la vie ?

Alors que ces intéressantes questions étaient discutées à la télévision avec le président, ce dernier posa ses lunettes sur son nez et demanda très sérieusement à ses interlocuteurs :

_ Mais où est donc le cadastre ?

Ce qui les laissa bouche bée. En effet, qui appartenait à quoi, tout cela n’était pas très clair.

Le président promit une grande enquête sur le sujet.

_ Peut-on réellement demander à nos alliés ou à d’honnêtes hommes d’affaires de quitter leurs propriétés, sans vérifier qu’ils ne les aient pas légalement acquises ? Nous avons des lois. Nous avons des accords, non pas internationaux, mais intersidéraux, même. C’est en ce sens que la propriété est sacrée sur notre sol. En ce sens qu’il faut respecter l’état de droit.

On se mit donc en campagne pour retrouver le cadastre, mais apparemment, il avait disparu. Cela souleva quelques difficultés, des conflits même, car beaucoup d’Africains se mirent à revendiquer des terres un peu partout. La question fut résolue lorsque l’enquête déboucha sur une énorme purge dans laquelle 15 000 Béninois furent passés par les armes pour avoir revendiqué des terres qui ne leur appartenaient pas, ôtant le pain de la bouche à 3 000 autres qui, eux, les possédaient réellement. En outre, dix millions de paysans injustement expropriés furent déportés pour ne pas avoir rempli correctement les formulaires de réclamation.


En général, on s’accordait à dire que les extraterrestres avaient arrêté la guerre, qu’ils avaient été des arbitres impartiaux, sinon désintéressés, pour résoudre le conflit. Et d’ailleurs, n’avaient-ils pas arrêté les missiles nucléaires en direction de l’Afrique ? S’ils ne l’avaient pas fait, quel holocauste ça aurait été !